Depuis la Toussaint, les gros travaux dans les fermes sont terminés, c'est la morte saison et le commencement des veillées.
Dans le récit qui va suivre, j'ai voulu faire revivre ces moments conviviaux où l'on aimait se retrouver, partager le repas, bavarder au coin de la cheminée...Le temps où l'on appréciait les choses simples.
A la ferme d'Octavien et Aurélie à Chaudefontaine sur les hauteurs de Vecoux, les gros travaux sont terminés. Depuis le printemps dernier, ils n'ont pas revu Théodule et Amélie, leur beau-frère et belle-soeur qui habitent une ferme à Grandrupt au-dessus de Ferdrupt.
La distance est longue entre les deux fermes. Ce soir, après la traite des vaches, ils vont partir avc les enfants Georges et René, leur rendre visite et faire une veillée, pendant que Marie, la fille aînée, reste à la ferme pour préparer les fromages et surveiller Aline, la dernière née.
Munis de lampes tempête, ils s'enfoncent dans la nuit, un vent fort secoue les branches des arbres.
En passant par la Vrille, les Fraiteux, la Croix du Lait, ils atteignent la ferme de Théodule au bout de deux heures de marche dans la forêt, à travers les chemins recouverts d'une mince couche de neige.
Quelle joie de se retrouver !
Un bon feu flambe dans l'âtre, la lampe éclaire la cuisine d'une lueur filante. Le jambon fumé et les pommes de terre sont déjà sur la table. Aurélie a apporté les fromages, les marrons et les noix.
Après le repas, les femmes brodent, les hommes fument tranquillement leur pipe en bavardant, les enfants jouent au domino, au jeu de l'oie. On parle du temps, des petites anecdotes qui font rire...
Et Joseph, le frère d'Amélie, entame d'une voix grave de sombres histoires de loups que le grand-père racontait souvent pendant les veillées d'autrefois.
" En 1876, l'hiver est long et rigoureux. Depuis décembre, on entend les hurlements des loups dans les bois.
Un jour, une tempête de neige a recouvert et transformé les chemins de la forêt de Bélué. La petite Nanette s'y est égarée en revenant de l'école, on a retrouvé son corps à moitié dévoré par les loups.
Deux jours plus tard, le brave Séraphin des Prés Biots s'est fait attaquer par la horde alors qu'il posait des collets.
Quel terrible hiver ! On semble encore entendre les hurlements des bêtes affamées...
Des frissons parcourent l'assistance. Le vent siffle au-dessous des portes, le feu pétille dans la cheminée devant laquelle on mange les marrons et les noix. Les hommes jouent aux cartes jusqu'à une heure fort avancée de la nuit.
Il est tard. Octavien, Aurélie, Georges et René s'apprêtent à partir. La route est encore longue jusqu'à Chaudefontaine.
Dehors, le vent s'est apaisé, le ciel scintille de milliers d'étoiles.